Mon axe de réflexion

Une pensée ancrée dans un parcours

Mon expérience, tant personnelle que professionnelle, m’a conduite à un certain nombre de réflexions, développées au fil du temps, que je pourrais résumer aujourd’hui en trois mots : tout se tient !
Partie du corps malade, en raison de mon cursus médical, j’ai vite compris l’importance du rôle joué par la psyché. Je me suis donc rapidement orientée vers la psychiatrie en même temps que vers une psychanalyse d’orientation jungienne. Dans cette affaire, je ne pouvais toutefois oublier, que le « moi » est d’abord corporel. La parole est libératrice seulement lorsqu’elle est authentique c’est à dire quand elle s’ancre dans un fond de sensations. Pour notre occident si mentalisé, retrouver le lien avec le corps reste une priorité. Dans cette perspective, j’ai suivi une formation à l’analyse à médiation corporelle. Je me suis également tournée vers des exercices énergétiques d’origine chinoise, Taï-chi et Qi-gong.

Pensée, Marie Romanens, (photo D.R.)Sur le plan personnel, mon parcours s’effectuait sur deux lignes à la fois : l’introspection sur le plan psychologique et la quête spirituelle. A l’époque, il était difficile de s’afficher comme engagée dans les deux démarches. D’un côté comme de l’autre, les réflexions fusaient pour dénigrer l’investissement dans l’autre « camp » ! Ce déchirement a été le moteur qui m’a permis d’écrire Le divan et le prie-Dieu. Dans cet ouvrage, j’affirme qu’il est temps de sortir des clivages et que spiritualité et psychanalyse ne s’opposent pas mais peuvent se rejoindre et même s’enrichir l’une l’autre.

Mon activité de chroniqueuse à la revue Actualité des Religions (devenue par la suite Le Monde des Religions) m’a permis d’exercer mon regard sur les faits de société (cf. L’inconscient dans l’actualité). Ce que j’ai commencé à entendre dans mon cabinet, à partir des années 1990, en termes de souffrance au travail, m’a conduite à réfléchir sur l’influence exercée par la collectivité sur la psyché de chacun. Je réalisais qu’elle pouvait être beaucoup plus importante que je n’imaginais (cf. Maltraitance au travail). Encore une fois, je faisais le constat que rien n’était séparé, mais qu’au contraire tout se tenait !

 Devenir humain : la question décisive

Trouver la voie du devenir humain, telle est l’aspiration qui, plus que jamais, est nécessaire aux hommes et femmes de notre époque. L’humanité s’est dotée de tels pouvoirs de destruction que la question est devenue aujourd’hui particulièrement cruciale. Cette période de crise, aussi gravissime soit-elle, est en réalité une chance qui nous est donnée pour accéder à une conscience plus élargie, une conscience davantage pétrie de tolérance.

Les recettes d’autrefois ne marchent plus car l’évolution s’est faite dans le sens d’une libération de l’individu face à la pression groupale. Telle est l’originalité de la société occidentale. Tel est aussi son talon d’Achille car ce « moi » séparé, porteur d’une angoisse difficile à gérer, est la porte ouverte à toutes les dérives possibles.

Aujourd’hui, nous sommes encore dans une pensée qui fonctionne sur le mode binaire : bien ou mal, corps ou âme, nature ou culture, tradition ou progrès, intérieur ou extérieur, individu ou société, libéral ou solidaire, etc. L’enjeu est de sortir de cette tendance à séparer et à cloisonner, afin d’accéder à une pensée plus « complexe » (pour reprendre le terme de Edgar Morin), un état qui puisse tenir ensemble les opposés (pour reprendre la vision de Carl Gustav Jung). Il s’agit de sortir de l’uni-dimensionnalité pour envisager la pluralité au cœur de chaque chose.

L’inhumain naît de la tendance à rejeter, à exclure, à privilégier une seule approche, élevée au rang de vérité suprême. Il trouve ses racines dans notre peur face à la vie qui échappe sans cesse à notre maîtrise. En réalité, rien n’est à refuser. Pour relever les défis de notre époque, il nous faut mesurer que tout est à prendre en compte. Cette perspective est d’une grande exigence car elle nous engage, chacun, jusqu’au plus intime de nous-mêmes.


Changer notre vision

Il y a un siècle, une méthode spécifique a été trouvée qui correspond aux besoins de notre époque : la psychanalyse et, à sa suite, toutes les démarches qui en sont issues.

Devenir humain. La question est  au cœur de l’expérience psychanalytique : un chemin dans lequel la personne s’engage pour se libérer de ses entraves, celles du mensonge, du non-dit, du non-être ; une voie qui lui permet, alors qu’elle est empêtrée dans ses conditionnements et fragilisée par le manque de support, de découvrir la capacité de vivre une reliance plus grande avec elle-même et, ce faisant, de tenir, de manière responsable, sa place, unique, distincte et originale, dans le monde.

Mais le « devenir humain » est aussi au cœur des enseignements spirituels traditionnels. La question du sens de l’existence a été de tous temps l’apanage de la quête spirituelle, de la quête initiatique. Elle ne peut être si facilement évacuée, dans cette ère de perte totale des repères. Voilà pourquoi, en Occident, où plus qu’ailleurs le « moi » échappe au collectif, les deux approches, psychologique et spirituelle, ont à se conjuguer pour aider les hommes et les femmes à avancer dans la voie du grandissement en humanité.

Reste en même temps la question de la société dans laquelle la personne vit : elle ne peut être oubliée quand les signes d’un véritable malaise se manifestent jour après jour à ce niveau. Elle permet d’entrevoir l’intérêt de la mise en contact avec des cultures différentes afin d’élargir son horizon d’occidental. Elle interpelle aussi sur la nécessité d’envisager une action pour contribuer, en même temps qu’au changement intérieur, au changement extérieur.

Si les chercheurs psychanalytiques se sont d’abord penchés sur les mécanismes de fonctionnement au cœur de la psyché, ils réalisent de plus en plus le rôle de l’interdépendance entre la personne et la famille dont elle est originaire, et même l’influence sur elle de la société dans laquelle elle se trouve. Plus loin encore à la suite de quelques psychologues américains, un courant est né qui ouvre un cercle plus large en faisant le lien entre les perturbations de la psyché et les dommages causés à la planète : « Ecopsychologie » est le nom de cette approche qui permet d’articuler les sciences de l’humain et les sciences écologiques.

Aujourd’hui, il devient vital de retrouver les liens entre notre psyché et la nature, de reconsidérer notre « apparentement à la Terre ». Nous avons trop longtemps négligé cette dimension relationnelle. De ce chemin de réconciliation dépend notre survie, car nous sommes dans la nature comme la nature est en nous.

Pensée, Marie RomanensSortir de la tendance à voir l’individu uniquement comme un être séparé est l’enjeu de notre époque. Il est nécessaire de se relier à soi-même, à « l’inconnu » qui parle au fond de soi, à ses sensations et émotions, à ses rêves, ses inspirations, ses intuitions et ses élans créatifs. Il est nécessaire aussi de réaliser qu’il y a de l’autre en soi : les proches de la famille qui ont influencé la construction de notre personne, les générations passées, porteuses de problèmes qui ne sont pas sans nous affecter à notre insu (trans-générationnel), les modalités de fonctionnement de la société dans laquelle nous baignons et même le cosmos tout entier, à travers cette nature dont nous ne pouvons être radicalement coupés, quoi que nous fassions à son encontre.

Dans ma pratique, j’ai constaté de nombreuses fois combien certains aspects « pathologiques » de la collectivité marquaient de leur influence la personne. Cela m’a amenée à penser que, autant il est insuffisant de vouloir changer le monde sans envisager de se changer soi-même (pour que la paix s’installe à l’extérieur, il faut déjà qu’elle soit en soi), autant le désir d’une transformation de soi ne peut être séparé de la question du défi que pose actuellement le « malaise dans la civilisation ». Les connaissances psychanalytiques, parce qu’elles sont capables de dévoiler les mécanismes destructeurs qui animent individus et groupes, sont à même de contribuer grandement à une réflexion pour un « réenchantement du monde ».